Il s’agit du dernier d’une série de 3 webinaires diffusés par le CCOMS dans le cadre du Groupe de Travail « Changement de nom » auquel le Collectif Schizophrénies est associé au même titre que de nombreuses associations de professionnels et d’usagers. Dans cette séquence, usagers et familles présentent leurs propositions, que nous résumons ici. Vous pourrez retrouver l’intégralité de leurs interventions sur youtube ICI
- Mathieu DE VILMORIN, ancien président de l’association Schizo ?... Oui !
- Vincent DEMASSIET, Président du Réseau français d’Entente de Voix
- Jocelyne VIATEAU, administratrice UNAFAM
Mathieu de Vilmorin, ou le trouble de l’unicité de soi
Mathieu de Vilmorin, ancien président de Schizo Oui, explique qu’il a d’abord été réfractaire à l’idée de tout changement de nom pour la schizophrénie. Considérant qu’il s’agit d’une maladie difficile à vivre, il estimait que l’énoncé du diagnostic constituait pour la personne qui le recevait une sorte d’annonce, de préparation aux difficultés auxquelles elle allait devoir faire face avec cette maladie.
Par la suite l’exemple du terme de bipolarité, mieux accepté par les usagers que celui de trouble maniaco-dépressif, et donc favorisant davantage l’acceptation des soins, a fait évoluer son point de vue. Le changement de nom pour la schizophrénie lui a paru un objectif à atteindre, dès lors qu’il s’agit d’un terme qui puisse fédérer et dans lequel les patients se reconnaissent ;
Matthieu de Vilmorin a identifié plusieurs pistes de termes, dont ceux de troubles de la « raisonnance » psychique, ou troubles de l’unicité du sujet, choisis pour rendre compte de cet éparpillement de la personnalité qu’il dit avoir ressenti profondément.
Vincent Demassiet, ou l’expérience psychotique associée à des événements de vie traumatiques
Vincent Demassiet explique à son tour qu’il s’est longtemps battu contre le changement de nom de la schizophrénie, ayant constaté que le terme bipolaire, bien accueilli dans un premier temps, n’avait pas empêché par la suite le retour pour les usagers des mêmes difficultés d’intégration dans la société (obtenir un emploi, un logement), la stigmatisation restant toujours bien présente. Fort de ce constat, il estime qu’il est indispensable de ne pas procéder à un changement de nom, mais à un changement de concept.
Vincent Demassiet énonce les constats issus de ses expériences personnelles et professionnelles mais aussi de ses échanges avec d’autres usagers au cours de son parcours de militant au sein du REV et du réseau Intervoice (40 nations représentées) et dont il est membre du conseil scientifique.
Pourquoi substituer le concept d’« expérience psychotique associée à des événements de vie traumatiques » à celui de schizophrénie ?
1/ Le diagnostic de schizophrénie ne décrit pas l’expérience vécue de la personne, car rares sont celles qui s’y reconnaissent. Ce diagnostic, on ne peut que l’accepter tel quel, ou plutôt s’y soumettre. « Soit on l’adopte et on apprend à avoir un rôle de patient en psychiatrie, à « être notre maladie », soit cela nous amène à une défiance vis à vis des propositions des soignants, qui requalifient cela en parlant de « déni de la maladie» explique-t-il.
Au lieu de cela on pourrait avoir des propositions de description des difficultés de la personne en lien avec son histoire de vie, ce qui faciliterait le travail des professionels et l’alliance avec les usagers
S’il faut un diagnostic pour obtenir des aides, allocations, pour permettre des travaux de recherche, rentrer dans des droits Vincent Demasiet propose de choisir un « label » qui serait « expérience psychotique associée à des événements de vie traumatiques »
2/ Le diagnostic de schizophrénie n’incite pas les cliniciens à rechercher les causes des difficultés des usagers.
A l’inverse, une formulation construite en lien avec l’histoire de vie invite à voir et à relever d’éventuelles connexions, avec pour conséquences pratiques des propositions concrètes d’actions. Parmi ces propositions concrètes citons les outils pour travailler avec les voix, travailler sur un habitat adapté, sur un espace sécuritaire. Ces outils seraient co-construits par usagers et professionnels de santé qui ne se limiteraient plus à la gestion des symptômes.
3/ Le diagnostic de schizophrénie induit une chronicité, un traitement à vie, quelque chose de l’ordre de la condamnation , une maladie qu’on devra supporter toute sa vie.
Comment dans ce cas peut-on se dire « je vais reprendre ma vie en main , me battre, avancer contre ce qui m’arrive » ?
Une proposition alternative intéressante devra rendre ce processus dynamique, par une collaboration usagers/professionnel de santé basée sur l’égalité et la confiance pour une co-construction du projet de vie.
4/ Le diagnostic de schizophrénie est souvent associé à une prescription systématique de médicaments psychotropes, rarement remise en question qui prive la personne de ressources pour son rétablissement ; cela génère en effet un surpoids, une baisse d’énergie, de l’estime de soi …
A l’inverse le lien entre histoire de vie et expérience psychotique peut permettre d’élaborer des actions concrètes pour la personne mais aussi pour les soignants et les accompagnants. Mettre au jour ce lien déclenche immédiatement les capacités d’action de la personne; de nombreuses prescriptions alors sont évités, les rechutes aussi.
Dans les services où l’on travaille sur le rétablissement et prend en compte ces liens là, on voit une baisse des effets néfastes sur la santé des personnes (comme la baisse de l’espérance de vie de 15 à 20 ans par rapport au reste de la population), et en même temps une réduction des coûts pour la collectivité.
Ce changement de paradigme implique aussi un changement de pratiques.Il faut plutôt que de chercher à repérer les symptômes passer plus de temps avec la personne pour parvenir avec elle à une formulation de ce qu’elle vit. Il faut donner un sens, relier ce qu’elle vit à sa pathologie ; les professionnels retrouveraient aussi du sens à leur travail, plutôt que de suivre des protocoles de soins systématiques.
Pourquoi choisir le concept d’expérience de vie associées à des événements de vie traumatiques ?
Vincent Demassiet se base, avec le conseil scientifique du REV sur des travaux de recherche, dont ceux de John Ruid, Richad Benton, et Varese, auteurs qui ont conduit des études quantitatives et qualitatives sur un panel de plus de 50 000 patients, et portant sur les liens entre symtômes psychotiques et vie traumatique.
Jocelyne Viateau ou le Syndrome de Deegan
Le mot schizophrénie est inprononçable pour beaucoup de personnes concernées et leurs familles. Il est rarement utilisé pour communiquer, moins de 5% des usagers, moins de 10 % des aidants l’utilisent. C’est un mot tabou, celui de la maladie honteuse d’aujourd’hui. Les stéréotypes sur la schizophrénie touchent de nombreux domaines tels que les manifestations de la maladie « dangereux », l’évolution des troubles « inguérissable », les traitements et les soins « à enfermer » et la capacité d’exercer un rôle social « paresseux et pas fiable ».Parallèlement un mésuage du mot schizophrénie est largement fréquent dans les médias . comme le montre les résultats de l’étude « L’image de la schizophrénie à travers son traitement médiatique » réalisée par l’Obsoco -, mandatée par l’association PromesseS .
La France se classe parmi les pays du monde qui stigmatisent le plus les patients atteints de schizophrénie, très loin derrière tous les grands pays européens (étude internationale de thornicrof de 2009) menée avec la fédération mondiale de psychiatrie.
Jocelyne Viateau revient ensuite sur les conséquences multiples et sévères de cette stigmatisation majeure : retard d’accès au soins, refus de soins, qui signifit risque de privation de liberté, soins sans consentement, isolement, contention. Elle rappelle qu’une personne sur deux fait une tentative de suicide pour échapper à la maladie, et que le décès par suicide est l’issue de 10% des personnes qui portent ce diagnostic. Enfin, elle évoque la perte d’espérance de vie de 15 à 20 due à la discrimination dans l’accès aux soins somatiques, et le fait que l’accès au logement, l’accès au travail, l’inclusion sociale, tout est défi ; l’autostigmatisation induite est une souffrance supplémentaire.
Pour en finir avec la figure du "schizophrène" fou, incurable et dangereux, elle propose de passer d’un nom facteur de désespoir à un nom qui soigne, et de remplacer ce terme de schizophrénie par "Syndrome de Deegan", en référence à Patricia Deegan.
Qui est Patricia Deegan ? Psychologue et chercheuse aux USA, elle est connue comme une militante du mouvement pour le rétablissement en santé mentale, cofondatrice du National Empowerment Center, conférencière internationale qui a reçu un diagnostic de schizophrénie à 17 ans.
Il s'agit de donner espoir à celui qui entre dans la maladie en lui parlant d'emblée de rétablissement, et de dire également aux professionnels que les soins et accompagnements orientés rétablissement ne sont pas une option facultative. Le changement de nom comme accélérateur du changement de pratiques.
Si Patricia Deegan n’acceptait pas de donner son nom, d’autres personnes concernées par la schizophrénie, emblématique de l’empowerment et du rétablissement seraient possibles y compris dans le monde francophone. On pourrait aussi construire un nom fictif, à partir de la combinaison de noms de personnes emblématiques.
Puis Jocelyne Viateau conclut "Plus tard, l’avancée de la recherche permettra de faire éclater ce diagnostic grossier et approximatif en de multiples maladies, nous découvriront les causes, les traitements pour les guérir et peut-être même pour les prévenir. En attendant, la stigmatisation nous étouffe, disons oui à l’empowerment, en donnant pour la permière fois un nom d’usager, de personne concernée à une maladie ; passons d’un nom qui blesse et qui tue à un nom qui soigne, passons au syndrome de Deegan."
Le Collectif Schizophrénies soutient cette proposition de syndrome de Deegan.
A l'issue de ces 3 webinaires sont programmées une publication scientifique ainsi qu'une tribune dans un média pour ouvrir à la réflexion collective et solliciter l’ensemble des personnes concernées sur les propositions. Une journée nationale sera également organisée au cours de l'année 2022