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WEBINAIRE 1 3

Il s’agit du premier d’une série de 3 webinaires diffusés par le CCOMS dans le cadre du Groupe de Travail « Changement de nom » auquel le Collectif Schizophrénies est associé au même titre que de nombreuses associations de professionnels et d’usagers. Nous résumons ici les interventions d’un historien et d’un enseignant-chercheur en philosophie des sciences. Vous pourrez retrouver l’intégralité de leurs interventions sur youtube ICI
Les 2 prochains webinaires mettront en présence des psychiatres puis des patients et proches.

Lors de ce premier webinaire le 12 mars, sont intervenus : 
- Hervé Guillemain, Professeur d'histoire contemporaine à l'Université du Mans, membre du laboratoire TEMOS (CNRS 9016), auteur de "Schizophrènes au XXe siècle", 2018, éd.Alma .
- Steeves Demazeux, Maître de conférences en Philosophie à l'Université Bordeaux-Montaigne.


Instabilité historique du concept de schizophrénie

Hervé Guillemain, s’appuyant sur l’histoire des patients à travers l’étude d’archives d’hôpitaux psychiatriques de la deuxième moitié du XXe siècle met en évidence les conditions de l’émergence de la notion de schizophrénie, ainsi que les controverses que cette notion a suscitées dès l’origine au sein de la psychiatrie.
Archives à l'appui, il met en évidence l’instabilité des diagnostics qui se succèdent au fil du temps, leur évolution reflétant aussi les évolutions des préoccupations de la société contemporaine.
En 1908, le terme de schizophrénie de Bleuler vient se substituer à celui de « démence précoce » issu de la classification de Eugen Kraepelin qui la définit, à la fin du XIXe siècle, comme une psychose chronique survenant chez un adolescent ou un jeune adulte, avec une évolution progressive vers un effondrement psychique.
Malgré le remplacement d’une étiquette par une autre, on conserve un diagnostic qui vaut pronostic d’incurabilité, et qui, bien que suscitant certaines réticences parmi les professionnels, finit par s’imposer en France.
Hervé Guillemain revient également sur l’argumentaire des psychiatres critiques de cette catégorie, et rappelle l’arrivée dans le débat dans les années 70, de patients contestant la validité de ce diagnostic (« Le mythe de la schizophrénie »). Il présente pour finir deux propositions de noms/concepts produites dans les années 60 et non retenues.

Il conclut sur le fait que changer un terme sans penser le changement de l’ensemble de ses dimensions est insuffisant. Aujourd’hui il faut tenir compte des grandes lignes du paradigme actuel et inclure les usagers dans le débat.


Manque de validité scientifique

Pour Steeves Demazeux, philosophe des sciences, le problème principal de la schizophrénie est qu’il s’agit d’une catégorie en manque de validité scientifique.
Malgré les nombreuses recherches conduites dans ce domaine dans des directions différentes, le seul point qui fait consensus pour la communauté scientifique est qu’il y aurait un soubassement génétique, un facteur de risque susceptible de provoquer le développement de la maladie. Cependant les gènes ou loci (fragments séquentiels de gènes) impliqués sont nombreux. Si il y a une certitude c’est bien que la schizophrénie n’est pas une maladie unique, ni une maladie monogénétique.

De plus les enquêtes récentes en population générale, et non plus seulement circonscrites aux institutions psychiatriques, ont mis en évidence l’extrême généralité d’expériences pseudo-psychotiques, telle que l’hallucination, qui, considérées initialement comme des symptômes piliers de la schizophrénie, sont décrites aujourd’hui comme presque « banales », en tout cas moins pathologiques qu’on l’a longtemps cru, car touchant des personnes qui ne sont pas considérées comme souffrant de schizophrénie. Surtout leur caractère plus ou moins invalidant dépend de leur acceptation et du contexte social.

En outre, il est extrêmement difficile de donner de la schizophrénie une définition clinique claire, comme le montre la comparaison des définitions et critères de diagnostic du DSM américain (manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, ouvrage de référence l’American Psychiatric Association ou APA) et de la CIM, (Classification internationale des maladies publiée par l’OMS).
Est évoqué à cet égard, le très emblématique "cas Simon", enseigné en philosophie des sciences, qui montre que, selon la classification utilisée, une même personne sera considérée schizophrène, ou pas …
On apprend qu’à l’intérieur de la communauté scientifique l’idée de changer de nom est presque aussi vieille que le nom lui-même.

Comme on le sait, les clichés sur la maladie sont nombreux et tenaces. Malheureusement, seule une validité scientifique reconnue de la maladie pourrait donner des armes pour combattre ces représentations sociales erronées.
Or, celle-ci n’existe pas. Elle est pourtant un préalable au combat pour la déstigmatisation.

Changer de nom est-il la solution ? Non répond Steeves Demazeux. Se limiter à changer un terme ne suffit pas à changer les images associées à une maladie. La stratégie réthorique ne fonctionne qu’un temps, d’autant que les images et les stigmas ne sont pas intrinsèquement attachés à un terme.


Surtout, changer la définition, le « concept » de la maladie

Il y a trois grandes possibilités théoriques :

  • Changer de nom, mais cela risque d’être insuffisant et revient à adopter la « stratégie de la litote » très répandue dans le champ social pour éviter les mots à connotation négative (ex non-voyant pour aveugle, demandeur d’emploi pour chômeur) ;
  • Changer trop rapidement de cadre théorique explicatif sans en avoir tous les justificatifs scientifiques. Par exemple,  Jim Van Oos, psychologue influent propose de remplacer le terme schizophrénie par trouble de dysrégulation de la salience ;
  • Changer de définition, on parle aussi de changement de « concept » (exemple : les baleines et dauphins qui étaient des poissons pour les Anciens et que la théorie scientifique de l’évolution a conduit à exclure de cette catégorie pour les inclure dans celle des mammifères). Ce changement aurait un double avantage : il apporte un gain explicatif, et il permet à la recherche de faire un progrès important du point de vue scientifique.
Cette démarche, qui doit avoir une visée scientifique, doit se faire dans le cadre d’un vrai partenariat entre les chercheurs qui travaillent sur la schizophrénie et  les associations de patients. Ne pas oublier que la visée d’un diagnostic, ce n’est pas de mettre des « individus dans des cases » mais d’ identifier correctement un problème médical auquel on pourra apporter un traitement scientifique.
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