Claire a 37 ans et a été diagnostiquée schizophrène en 2007. Elle souhaite particulièrement témoigner de ses problèmes de poids pour lesquels elle regrette qu'il n'y ait pas de structure adaptée pour gérer ces questions et la schizophrénie.
Comment s’est passée votre entrée dans la maladie ?
Jeune adolescente, je faisais du sport, du hand-ball. J’ai rencontré des jeunes qui fumaient du cannabis et, à 15 ans, je me suis mise à fumer à l’occasion, le week-end, quand je sortais.A 16-17 ans, j’ai commencé à fumer en semaine.
A 20 ans, j’ai pris un appartement, à Echirolles, assez loin de chez mes parents qui habitent Grenoble. J’étais la cinquième et dernière enfant et je n’avais pas envie d’habiter seule, mais ce logement me rapprochait de l’hôpital où je travaillais alors comme femme de ménage. Au fur et à mesure des mois, j’ai côtoyé des gens et passé des soirées avec eux à fumer du cannabis et boire de l’alcool. Le travail me mettait dans un état de stress, je fumais un ou deux joints le soir. Résultat, je n’arrivais pas à me lever et aller au travail.
Progressivement, j’ai augmenté les doses de cannabis. Un soir que nous avions consommé du cannabis avec une amie chez moi, je l’ai raccompagnée au parking où elle avait sa voiture. J’ai pris l’ascenseur pour rentrer et je me souviens m’être balancée contre les murs pour arriver à la porte, puis d’être tombée par terre. Je ne me suis pas réveillée dans le même monde. J’avais peur qu’on me fasse du mal Quand ma mère et mon frère m’ont emmenée chez le médecin, je lui ai dit : « Ce sont mes parents qui veulent me tuer avec leur voiture ».
Avez-vous eu un diagnostic ?
A l’époque une psy a diagnostiqué une schizophrénie paranoïde, j’ai pris des médicaments et ça m’a aidée. Cette psychiatre m'a suivi pendant dix ans. Ma mère et mon frère m’ont beaucoup aidée. Ma famille a galéré car ils ne connaissaient pas d’association ni aucune personne souffrant de schizophrénie. Ils ont dû faire seuls face à ma maladie.
Comment cela s’est-il passé ensuite ?
Deux ans après, je devais avoir 22 ans, j’ai commencé à ne plus me laver, à beaucoup moins manger. Heureusement ma mère avait le double des clés de mon appartement et rentrait toute seule car je ne lui répondais plus. Je pesais environ 60-65 kg pour 1,58m et je suis tombé jusqu’à 40-45 kg. J’ai été mise en arrêt de travail et mon médecin traitant m’a envoyé vers ma psychiatre mais je ne voulais pas la voir à cette époque. Ma mère s’occupait de moi mais je fuguais. J’avais arrêté le cannabis mais continuais à fumer des cigarettes. Le psychiatre m'a reçue en hospitalisation à l’hôpital de Saint-Egrève, demandée par ma propre volonté de vouloir aller me reposer. Mon hospitalisation a duré un mois. J’ai accepté d’y aller et ils m’ont remise sous médicaments. J’ai demandé à courir pour expulser tout ce traitement, j’ai obtenu des permissions. Puis je suis retournée chez mes parents pour vivre, c’est l’appartement où je suis encore.
Et depuis avez-vous rechuté ?
J’ai connu une légère rechute à 24-25 ans lorsque j’ai arrêté mon traitement. Mon frère s’est aperçu que j’avais le regard ailleurs, m’en a parlé et j’ai repris mes médicaments. Je suis contente car je ne suis pas retournée à l’hôpital. La psychiatre qui m’a soignée pendant dix ans m’a dit que ça se passerait bien avec un traitement et que je devrais le prendre pendant longtemps.
Avez-vous connu d’autres complications ?
Oui, le décès de ma mère, voici un an et demi, a été très difficile pour moi. Depuis j’ai deux autres traitements, un pour la déprime et un autre pour dormir car je ne trouve plus le sommeil. Comme j’avais pris beaucoup de poids et que j’allais mal après le décès de ma mère, mon médecin m’a conseillé le centre médical Rocheplane, à Saint-Martin-d’Hères, qui comporte une unité pour le sport et pour apprendre à bien se nourrir. J’y suis allée l’année dernière et j’y suis restée deux mois. Puis j’en ai eu ras-le-bol et je suis repartie dans ma famille à Biarritz. Je n’en pouvais plus de voir les arbres, je ne supportais plus l’endroit. On était dix personnes, le relationnel avec beaucoup de monde me posait problème. J’étais la seule schizophrène ; je pensais que j’étais mal comprise par les autres. Ça ne m’a pas convenu.
Vous vouliez nous parler des effets secondaires des traitements ?
Oui, j’ai beaucoup grossi ; je pèse 140kg aujourd’hui. Quand j’ai pris mon appartement à 20 ans, je ne savais pas cuisiner. Ensuite, lorsque je suis revenue chez mes parents, c’est ma mère qui cuisinait. J’allais manger des choses en cachette. J’ai demandé à mon médecin si les cachets faisaient prendre du poids car j’avais grossi de 25kg en deux-trois ans. Je n’ai pas souvenance que les psys m’aient parlé de prise de poids. J’ai toujours des pulsions alimentaires, même deux heures après un repas. Les médecins se contentent de dire que les médicaments jouent et masquent l’effet de satiété. Je fais de gros efforts et ma sœur passe beaucoup de temps à la maison pour m’aider. Elle m’apprend à manger équilibré, même s’il y a de bonnes portions. Je me force à manger des fruits entre les repas. Ces dernières semaines, j’ai mangé beaucoup de bananes. Par rapport au poids, je travaille avec mon médecin généraliste pour trouver un médecin qui me ferait faire du sport en individuel et aussi une nutritionniste, sur l’hôpital sud de Grenoble. C’est mon projet. Depuis un an, j’essaie de me prendre toute seule en main et je fais des efforts pour manger équilibré. Mais quand je suis contrariée, ces puslions alimentaires viennent et c'est ce qui est dur à contrôler. Avec mon médecin traitant, on essaie de mettre en place des solutions, des idées adaptées à ma personne pour perdre du poids.
Est-ce que vous travaillez ?
Non, plus actuellement. J’ai travaillé dans un Esat (Établissement et service d’aide par le travail) à Saint-Martin-d’Hères pendant deux-trois mois. Les responsables nous préparaient trois feuilles à classer dans l’ordre dans une enveloppe. J’étais assez rapide. Ce qui me plaisait était surtout de sortir hors de chez moi, cela rendait ma mère fière. En revanche, les relations avec les autres étaient difficiles. Je préfère travailler à l’écart car, parfois, j'ai du mal à cohabiter avec les gens. C’est la peur aussi, j’ai toujours peur que cela se voit que j’ai du mal à parler. Je crains que des personnes disent : « Oh, elle a du mal à s’exprimer ». Mais je n’ai aucun problème pour parler de ma maladie, je préfère que les personnes sachent que je suis schizophrène.
Est-ce que les psychiatres vous ont proposé une psychothérapie ou un accompagnement par exemple cognitivo-comportemental pour faciliter votre quotidien ?
Non, je ne me rappelle pas qu’aucun des deux psychiatres qui m’ont suivie m’aient proposé quoi que ce soit, en dehors du traitement médicamenteux. Mon frère m'a aidé à oser sortir pendant plusieurs années et m' accompagné dans les magasins y compris les pharmacies. Maintenant, je peux aller toute seule à la pharmacie.
Quels sont vos centres d’intérêt ?
Après ma première crise, je ne m’exprimais plus et ma mère a fait un travail important pour m’aider à parler de nouveau. J’ai réappris toutes sortes de connaissances avec ma soeur aînée et des livres de vacances de niveau 6ème, 5ème et 4ème.Un jour où j’avais du mal à accepter le mot de schizophrène, j’ai écrit sur une feuille : « je suis schizophrène ». Et comme ma sœur aînée m’avait conseillé de faire quelque chose quand j’avais faim, j’ai commencé à écrire. J’aime me plonger dans cette activité. Quand quelque chose ne va pas, j’aime beaucoup écrire des poèmes. J'ai édité un livre de poésie. Lorsque j’ai appris que j’allais être marraine, il y a un an et demi, j’ai écrit un livre pour enfants qui va bientôt être édité.
Quels sont vos projets ?
J’ai décidé de déménager. Ma sœur et moi avons mis en place des aides à domicile pour que je ne sois pas seule. Il y a un Esat à 500m de chez moi, où j’aimerais beaucoup travailler. Le problème est qu’il est réservé aux personnes ayant des déficiences intellectuelles. C’est un peu compliqué pour y aller mais je ne lâcherai pas. Même s’ils me prennent pour faire du ménage qu’une seule heure, je sais que je serai entourée de personnes avec des difficultés comme moi. Entre mes deux sœurs, mon frère, mes nièces et mes neveux, c’est important que je sois bien entourée. Mon éducatrice et moi-même avons mis en place certaines choses pour que je sois au mieux dans mon autonomie. Je vais déménager à la fin du mois de septembre, non loin d'une petite gare. Elle va m'apprendre à connaître les lieux, nous allons marcher ensemble pour que j'aie moins de stress et que je puisse le gérer quand la fatigue se fait ressentir. J'ai l'intention, avec l'aide de mon éducatrice, de prendre les transports et d'y arriver seule par la suite, oui, j'espère...Mi ombre mi lumière, de Claire Chardin
Editeur Du Pantheon Eds
Sans Ailes, poèmes d'une schizophrène, de Claire Chardin
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