Hervé Jault est l'auteur de « L'Homme des brouillards ». À travers cette autofiction, il raconte ce que peut être la vie dans le monde du travail d'un jeune homme ayant reçu un diagnostic de schizophrénie.
Quand et comment avez-vous su que vous souffriez de schizophrénie ?
Pour moi, tout a commencé à l'automne 2003 pendant mes études d'ingénieur géomètre. Je suis devenu très timide, je m'isolais et me fâchais avec mes camarades de promotion. J'ai consulté une psychiatre sur Angers qui a diagnostiqué une bouffée délirante. Puis après quelques ajustements, elle m'a prescrit du Solian et un anxiolytique. Elle parlait alors de troubles de la personnalité, de psychoses et bien plus tard, j'ai su que j'étais schizophrène.
Est-ce que la maladie a perturbé la poursuite de vos études ?
Ma maladie ne m'a pas empêché de réussir mes études, car les évaluations étaient basées sur des examens écrits et oraux pendant lesquels j’excellais. Les examinateurs ne voyaient que l'intellectuel que j'étais et me promettaient une belle de carrière de géomètre. Pourtant, avec mes 50 kg, je maigrissais à vue d’œil, n'avais ni endurance ni robustesse et ni force physique. Tous ces éléments étaient indispensables pour travailler sur le terrain.
Quel soutien avez-vous pu avoir durant cette période dans l'établissement que vous fréquentiez ?
Je n'ai jamais osé parler de ces problèmes de santé aux responsables de l'école où j'étudiais. J'avais de gros problèmes relationnels, mais je ne voulais pas en parler. Néanmoins, je me suis tourné vers l'infirmerie de l'université où je consultais de temps en temps la psychologue.
Comment s'est passée ensuite votre recherche d'emploi ?
Durant l'été 2006, j'ai obtenu mon diplôme d'ingénieur et ai été embauché dans l'entreprise où j'avais effectué mon travail de fin d'études. J'étais vidé de mes forces, je n'avais plus d'énergie. La motivation était au plus bas. J'étais très lent et donc pas rentable. Au bout de trois mois de période d'essai, après tant de maladresses et de travail mal fait, mon employeur ne m'a pas confirmé à mon poste. Pendant plusieurs mois, j’ai enchaîné des entretiens d'embauche, sans succès. J'ai su, que mon ex-employeur ne m'a pas fait de cadeaux quand on l’interrogeait. J'ai encore deux fois retrouvé du travail, mais sans jamais être confirmé dans mes fonctions ; on me faisait savoir que j'étais trop lent et pas dynamique.
Qu'avez-vous décidé alors ?
J'ai voulu prendre le temps de mieux me soigner. J'ai consulté un professeur à l’hôpital Sainte-Anne à Paris. J'ai passé des tests et suivi des séances de psychodrames. Finalement, on m'a prescrit un traitement avec de l'Abilify.Et j'ai signé un CDD en février 2008 dans une université en tant que chargé d'opérations au sein du service technique. J'avais pour mission de dessiner des plans sur ordinateur et gérer le patrimoine immobilier. Peu à peu, j'ai commencé à me rétablir. Il m'a fallu des années pour être moins timide, m'affirmer et aller, sans crainte, vers les autres.
Quand et pourquoi avez-vous parlé de vos difficultés à votre employeur ?
Mon traitement me fatiguait de plus en plus et il fallait absolument obtenir un aménagement de poste pour réussir à accomplir mes tâches. J'ai transmis ma Reconnaissance Qualité Travailleur Handicapé (RQTH) - obtenue en janvier 2009 après treize mois d'attente- . Et en juin 2012, j'ai sollicité un entretien avec le DRH pour lui expliquer que j'avais une maladie psychique sans en donner le nom (le mot schizophrénie faisait peur) et que j'avais un traitement qui me fatiguait. Avec ma RQTH, je lui ai demandé d'étudier comment je pourrais m'organiser pour effectuer mes heures et mon travail malgré le handicap. Je pensais avoir bien fait. Tout s'est enrayé.
Que s'est-il passé ?
Une semaine plus tard, j'ai été convoqué par le responsable du service technique. Je n'avais rien à craindre, tout s'était bien passé pendant plus de quatre ans et j'avais fait tant de progrès. L'entretien s'est très mal passé. On m'a reproché ma lenteur, mon manque de dynamisme et mes progrès qui mettent trop de temps à venir. Pendant un an et demi, j'ai passé mon temps à prendre des coups. J'ai enduré de nombreux entretiens avec ma hiérarchie pendant lesquels on me reprochait ma lenteur et mes difficultés relationnelles avec mes collègues. Mais j'ai tenu ma position et finalement, en février 2014, après six années en CDD, j'ai signé un CDI. Mon emploi était sauvé. Durant cette période de tension, je n'ai jamais perdu espoir. J'ai toujours cru que je ne perdrais pas mon emploi grâce à mon investissement et un comportement le plus exemplaire malgré quelques accrochages avec les membres de ma hiérarchie et certains collègues.
Votre situation professionnelle s’est-elle alors normalisée ?
Non, la même année, j'ai changé de mission et de service. Il y avait moins de travail au service technique et le maintien de mon poste de chargé d'opérations n'était plus justifié. On m'a proposé de m'investir dans une nouvelle mission, et installé dans un petit bureau où nous étions trois collègues au total. Très vite, les relations humaines se sont dégradées. En décembre 2016, le DRH m'a convoqué pour m'annoncer que mes collègues de bureau avaient quelque chose à me dire. J'ai décidé de jouer cartes sur table et parler en toute liberté de mon handicap.
Comment avez-vous expliqué votre maladie à vos collègues ?
Au début de l’entretien, mes collègues m’avaient expliqué qu'elles trouvaient mon comportement bizarre. J'avais parfois des réactions intrusives et j'étais, par moment, mal poli. Je leur ai expliqué que j'avais une maladie psychique qui ralentissait mes gestes et engourdissait les émotions. Je rencontrais des difficultés à appréhender les codes sociaux. Et enfin, que je prenais, matin et soir, des médicaments à base de sédatifs. Elles ne savaient pas quoi répondre. Cette explication était inattendue.
Quelles ont été les suites de cette annonce ?
Trois semaines plus tard, j'ai été contraint de changer de bureau. Mes collègues ne voulaient pas avoir dans leur bureau un malade psychique. J'étais très en colère. Mais sur les conseils de mon responsable et du pôle qualité de vie au travail, j’ai décidé de ne pas provoquer un conflit qui m'aurait été préjudiciable. J’ai donc changé de bureau. Très vite, je me suis rendu compte que j'avais de meilleures conditions de travail. Plus personne pour surveiller mon travail. Virer un collègue de son bureau parce qu'il a un handicap qui fait peur m'a beaucoup révolté. Si mes collègues avaient su plus tôt que j'avais cette maladie et ce handicap qui en résulte, alors leur réaction aurait été différente. Et ce fut le déclic.
A la fin de votre roman, le personnage principal promet d'agir pour une meilleure formation à la maladie psychique dans le monde du travail. Quelles seraient selon vous les actions à mener ?
Comment faire pour que tous les salariés puissent mieux réagir face à un collègue ou un collaborateur qui souffre d'une maladie psychique ? J'ai décidé d'écrire, non pas pour soigner ma mélancolie, mais pour communiquer auprès de tous sur ce thème. Après des mois d'hésitation, j'ai suivi des ateliers à Angers pour travailler mon style d'écriture. En 2019, j'ai rédigé le premier jet de mon livre. J'ai voulu que ce soit une fiction et non une autobiographie pour me laisser plus de liberté et inventer des lieux et des personnages qui n'existent pas. Je ne voulais pas que des gens que j'ai connus se reconnaissent à travers certains personnages antipathiques. Ce roman a pour objectif d'expliquer ce que c'est d'être malade psychique et comment réagir face à un collègue ou un collaborateur qui présente ce type de pathologie. À travers ce livre, je n'ai qu'un seul but : améliorer les conditions de travail de personnes en situation de handicap psychique. Il serait intéressant, à mon avis, de prêcher la bonne parole devant un large public. Ce n'est pas les gens qui sont mauvais, c'est juste qu'ils ne savent pas comment réagir devant un individu qui a un handicap psychique. Parlons-en. L'HOMME DES BROUILLARDS , de Hervé Jault
Edition Librinova