Jean-Charles est atteint d’une schizophrénie affective depuis 20 ans. Ingénieur-expert en informatique, il est aujourd’hui père de deux petites filles de 4 ans et en rémission depuis leur naissance. Il témoigne de son parcours de vie pour donner de l’espoir aux plus jeunes qui découvrent la maladie.
Pourriez-vous expliquer ce qui caractérise le diagnostic de schizophrénie dysthymique que vous avez reçu
La schizophrénie dysthymique ou affective combine des symptômes de la schizophrénie et de la bipolarité, avec des épisodes maniaques, des psychoses, de la mélancolie et de la dépression. Je n’ai pas souffert d’hallucinations auditives mais j’en ai eu des visuelles.
Quand vos troubles ont-ils débuté ?
J’ai vécu un premier épisode délirant quand j’avais 21 ans. A l’époque j’étais stagiaire à la SNCF de Nantes. J’étais « Jean qui rit Jean qui pleure » avec des émotions très intenses et j’avais entrepris « un voyage initiatique » loin de mon domicile. Lorsque mes parents m’ont retrouvé, le psychiatre leur a conseillé de ne pas m’hospitaliser parce que ça aurait pu me choquer encore davantage. Donc je suis resté à la maison le temps que la crise se résorbe.
Je n’ai pas eu de diagnostic à ce stade : un seul épisode délirant ne suffit pas à l’établir. Mais un traitement médicamenteux a été mis en place dès ce moment-là : j’ai pris du ziprexa qui à l’époque m’a fait prendre 30 kg en très peu de temps, puis de l’abilify. Ces kilos sont beaucoup plus faciles à gagner qu’à perdre…
Ensuite j’ai connu deux autres épisodes deux années plus tard, et encore cinq années plus tard.
Quels autres soins vous ont été prodigués ?
J’ai rapidement été pris en charge en thérapie avec un psy proche de chez mes parents. J’ai été suivi par plusieurs psy car je suis venu m’installer à Paris en 2006 un an après mon dernier épisode psychotique. Là, je suis redevenu délirant durant ma période d’essai et pour la première fois j’ai été hospitalisé à Clermont- sur-Oise parce qu’il n’y avait pas d’autre choix. C’est une amie de mes parents, qui m’avait invité à déjeuner à leur demande, qui a donné l’alerte en voyant mon comportement. J’ai traversé encore d’autres épisodes et d’autres hospitalisations. Mes parents ont fini par me mettre en curatelle après quelques années.
Pendant ce temps je suis passé par plusieurs diagnostics proposés par des psy en libéral. Un psychanalyste avait pensé à un trouble borderline. Mais mon traitement est toujours resté le même depuis plus de 19 ans, sauf pendant les hospitalisations où j’ai dû prendre des calmants.
C’est finalement le centre expert Louis Mourier qui me suit depuis 3 ou 4 ans qui a posé le diagnostic de schizophrénie dysthymique, après plusieurs expertises cognitives, verbales et de la mémoire. On m’a proposé alors de la remédiation cognitive mais je n’ai pas de temps à y consacrer à cause de mon travail et ma vie familiale.
Quels retentissements cette maladie a eu sur votre vie professionnelle ?
Je n’ai pu bénéficier de la RQTH que très tardivement du coup, ce qui est dommage. Quand on peut l’avoir c’est bien de la demander au cas où. Mais la maladie ne m’a jamais desservi professionnellement. Mes patrons se sont montrés compréhensifs et moi j’ai toujours fait en sorte dans tous mes entretiens de parler de la RQTH ; certains me demandent par curiosité pour quelle maladie malgré l’interdiction. J’en parle aussi à mes collègues. Je trouve important d’expliquer ce que représente cette maladie pour ceux qui en souffrent, ça permet de la faire mieux connaître, et en retour on me dit souvent : « on ne dirait pas que tu es malade ».
Malgré la maladie, j’ai beaucoup progressé professionnellement. J’ai toujours travaillé et toujours en milieu ordinaire : d’abord ouvrier à l’usine, puis technicien, puis technicien informatique, ingénieur informatique, expert… uniquement grâce à l’expérience acquise. Je n’avais pas de formation initiale en informatique, mais j’ai suivi une formation de 6 mois au CNAM et j’ai ensuite commencé comme technicien sur une première mission puis sur une autre … Le bouche à oreille m’a permis de bien progresser.
La maladie ne m’empêche pas de travailler ; je sais que ce n’est pas toujours le cas pour les personnes qui en souffrent. La médecine du travail veille à prévenir les situations présentant un risque : par exemple j’avais beaucoup d’astreintes de nuit à une époque pour faire face aux incidents, et la médecine du travail a préconisé de limiter mes horaires à la journée afin de préserver la qualité de mon sommeil. J’ai aussi appris à vivre avec le stress qui est difficile à éviter complètement en situation de travail.
Et sur votre vie personnelle ?
J’ai eu la chance d’avoir des amis qui se sont intéressés à la maladie, qui sont restés proches de moi malgré la maladie. Bien sûr j’en ai quand même perdu certains. La plupart vivent en Bretagne dont je suis originaire. A Paris j’ai plutôt des connaissances de travail, mais que je vois aussi en dehors du travail.
Côté cœur, j’ai rencontré ma femme quand j’avais 33 ans et ça s’est très bien passé malgré une certaine appréhension au départ. Mon père est mort quelques mois plus tard et c’est probablement cette perte qui a entraîné un avant-dernier épisode délirant. Mon couple a tenu ; ce n’était pas évident mais la relation s’est renforcée. Ma femme s’est dit qu’elle pouvait me perdre ; ce n’est pas évident pour les proches. Alors elle a consulté un psychologue pour qu’il lui explique un peu la maladie et comment réinstaurer un dialogue. On a pu en parler naturellement, comme dans le monde professionnel.
J’ai refait un dernier épisode psychotique alors que j’étais arrêté pour dépression, quand ma femme m’a appris qu’elle était enceinte. C’était difficile car complétement nouveau, même si on avait ce souhait depuis longtemps ; j’ai été très stressé. Mais depuis la naissance de mes filles il y a 4 ans je suis en rémission d’après le centre expert. Je n’ai plus aucun symptôme de la maladie.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de témoigner sur le site du Collectif Schizophrénies ?
Je veux aider les jeunes qui souffrent. J’ai déjà participé à un forum d’usagers sur internet mais j’ai dû me retirer car cela devenait trop lourd pour moi. J’y ai partagé mon expérience et beaucoup avaient apprécié de voir qu’il y a de l’espoir : on peut rencontrer quelqu’un, avoir des enfants, travailler en souffrant de cette maladie.
Ça fait du bien de voir qu’on peut s’en sortir. Les témoignages que j’ai consultés sur youtube m’ont toujours beaucoup ému. On sent que les personnes se donnent du mal pour s’intégrer dans la société et beaucoup s’en sortent très bien en mettant en place des règles pour vivre du mieux qu’elles peuvent. Elles montrent qu’on peut s’en sortir et mener une vie satisfaisante.