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Notre réaction aux annonces sur la psychiatrie

Alors que le malaise de la psychiatrie s’affiche désormais dans les médias, que la Fondation Fondamental publie un ouvrage intitulé « Psychiatrie, l’état d’urgence », la ministre de la Santé Agnès Buzyn a rendu publique en juin sa « feuille de route santé mentale et psychiatrie », puis réaffirmé le caractère prioritaire de la psychiatrie à l’occasion de l’annonce du plan « Ma santé 2022 » par le Président de la République.

Le Collectif Schizophrénies, qui porte un regard très critique sur la qualité de la prise en charge actuelle de la schizophrénie en France souhaite réagir à ces différentes annonces.


La psychiatrie est déclarée comme priorité et c’est une bonne nouvelle.

La feuille de route, au fil de ses 37 actions égrène en effet la situation critique de la France sur à peu près tous les volets de la santé mentale : absence d’information du grand public, surmortalité par suicide comparée aux pays voisins, surmortalité considérable des personnes souffrant de troubles psychiques par défaut de prise en charge somatique, inadaptation de la formation des professionnels, absence de partage de bonnes pratiques, manque de coordination entre psychiatres et généralistes, et entre professionnels des secteurs sanitaire, social et médico-social, niveau inédit de soins sans consentement , carence des prises en charge ambulatoires et à domicile, y compris pour les urgences, développement insuffisant de l’offre psychosociale , taux de chômage majeur des personnes souffrant de troubles psychiques sévères , manque de logement à leur intention, absence d’accès précoce aux soins - facteur décisif du pronostic, dépérissement de la pédopsychiatrie, position à la traine de la France en matière de e-santé mentale, effort de recherche en santé mentale inférieur à celui des pays équivalents… Au moins les constats sont là.

Sur la schizophrénie spécifiquement, plusieurs annonces et actions de la feuille de route croisent particulièrement nos préoccupations et attentes :
- un objectif de « rétablissement » des patients cité 9 fois,
- le renforcement de la logique de la preuve pour l’évaluation de la qualité des pratiques (actions 23 à 29),
- Le déploiement en France d’actions de psychoéducation structurée qui ont fait leurs preuves à l’étranger, telles que les Premiers Secours en santé mentale.
- mais aussi le développement de la réhabilitation psychosociale (action 18), l’amélioration du suivi somatique (actions n° 11, 14 et 15) , des prises en charge ambulatoires (action 9), l’amélioration de l’accès à l’emploi (action 35), au logement (action 36).
La réaffirmation dans le Plan santé 2022 de la mise en place prochaine des PTSM constitue également une très bonne intention.


Cependant, on ne perçoit pas aujourd’hui l’accélérateur qui va concrétiser la priorisation annoncée 

Des moyens supplémentaires, qui seraient pourtant particulièrement nécessaires pour la prévention, la détection précoce, une meilleure prise en charge des enfants et des jeunes, ne sont pas envisagés. Et il n'y a pas de refondation du système de soins actuels, même si des pratiques innovantes et expérimentations qui se sont construites en marge, voire en opposition à celui-ci sont mises en avant. 

Les soins de réhabilitation sociale vont ainsi faire l’objet d’une prochaine instruction ministérielle, ce qui est très positif sur le principe, puisque les usagers aujourd’hui n’ont pas la possibilité d’accéder à des pratiques recommandées de longue date au niveau international pour la schizophrénie, comme la psychoéducation ou la remédiation cognitive.
Cependant sur le terrain, les professionnels ne sont globalement pas incités à se former pour pratiquer et rendre possible ces soins dans l’ensemble des secteurs de la santé mentale. Et l’efficacité de ces pratiques n’est pas assez diffusée et soutenue par les pouvoirs publics. Dans le même temps, l’Etat finance des cliniques institutionnelles, des CMP, des hôpitaux de jours ou autres dispositifs qui ne mettent pas en place d’outils de réhabilitation psychosociale et dont les pratiques ont peu évolué depuis les années 70.

♦ Que ce soit pour la schizophrénie ou d’autres troubles comme l’anxiété ou la dépression, la feuille de route ne prévoit pas de démarche pour fournir à la population une meilleure compréhension et une plus grande lisibilité de l’offre disponible en matière de psychothérapies validées. Les expérimentations de remboursement de consultations de psychologues en cours, dont les conditions d’évaluation sont d’ailleurs peu claires, excluent de surcroît les troubles sévères comme la schizophrénie.


Plus profondément, la dimension systémique de la maladie mentale ne nous semble pas assez intégrée. 

Nous sommes bien placés, en tant que personnes confrontées à la schizophrénie, pour savoir qu'en surplomb de la prise en charge individuelle, c’est d’abord le regard posé sur les troubles et ceux qui en souffrent qui empêche collectivement d’avancer sur la prévention auprès des jeunes, l’accès précoce aux soins, l’amélioration de la qualité de vie et l’inclusion sociale des personnes malades.

Nous sommes préoccupés de constater que la crise de la psychiatrie reste l’objet d’échanges essentiellement entre autorités sanitaires et professionnels de santé, sans inclure d'autres acteurs en particulier les usagers eux-mêmes et leur entourage. Les annonces récentes marquent un net recul de leur place par rapport aux textes (décret et circulaire) relatifs au PTSM.

Concernant les usagers, la feuille de route évoque GEM et autres modalités de pair-aidance, pour aussitôt affirmer la nécessité de les évaluer. Exigence qu’on aimerait voir appliquer avec autant de rigueur à l’ensemble des prises en charge psychiatriques, notamment celles portant atteinte aux droits fondamentaux des patients.

Quant aux familles, alors que les textes relatifs au PTSM promeuvent la psychoéducation des proches (inscription par exemple du programme Profamille dans la boîte à outils des bonnes pratiques citées sur le site du ministère), plus aucune mention n’en est faite dans la feuille de route et le Plan Ma Santé 2022.
Acoompagner les familles est pourtant une mesure de bon sens, peu coûteuse et très efficace. Combien d’équipes hospitalières de psychiatrie, parmi toutes celles débordées par le « manque de lits », proposent des programmes de psychoéducation des familles qui divisent par deux le taux de rechute des malades pour la schizophrénie ?

Au-delà de la formule rituelle de « lutte contre la stigmatisation », rien de concret n’est proposé.
Nous constatons qu’en matière de maladies mentales, aucun mandat n’est donné à Santé Publique France, organisme officiel d’information santé. Aucune mission n’est confiée non plus à l’audiovisuel public, alors que les médias sont pointés dans la feuille de route (de façon un peu lapidaire) comme le vecteur majeur de la stigmatisation des malades.
Seules les semaines d’information en santé mentale sont évoquées, alors que si elles parviennent à toucher partiellement un public, c’est en grande partie grâce aux bonnes volontés et à la mobilisation des associations.
On peut regretter par ailleurs que le travail de fond du Psycom ne soit ni cité, ni encouragé.


Nous redoutons, malgré des avancées dans le discours et dans les textes, la poursuite d'une politique de surface.

Il nous semble que le personnel politique, en retard sur la société, porte de très mauvaises représentations des maladies psychiques et de la psychiatrie. En témoigne, à l’arrière-plan des annonces de santé, le décret Hopsyweb, qui établit à l’emporte-pièce un lien entre terrorisme et soins sous contrainte et vient désigner les centaines de milliers de personnes qui ont le malheur d’être malades comme des citoyens suspects devant être soumis à un régime d’exception.

Ou bien la ministre de la santé qui, pour rejeter l’idée proposée par la Fondation Fondamental, d’un « INCa » pour la psychiatrie, déclare qu’il n’y a dans cette discipline « aucun progrès technique à intégrer à la pratique ».
Voilà qui va donner de l’espoir aux 200 000 personnes que leur souffrance psychique amène à tenter de se suicider chaque année en France.
Qu’en est-il alors des nouvelles techniques de communication, de la remédiation cognitive ? Les malades n’ont-ils donc rien à espérer des neurosciences, de l’imagerie médicale, de l’intelligence artificielle, de la réalité virtuelle, de la médecine personnalisée … ? Nous regrettons une vision qui est malheureusement en ligne avec le classement médiocre de la France en matière de recherche et de e-santé mentale.

Nous espérons que ce gouvernement, qui hérite d’une situation très difficile liée à des décennies d’inaction, saura saisir l’enjeu de modernisation que portent pour la société toute entière les questions de santé mentale, de la psychiatrie, de l'inclusion des personnes avec un handicap psychique.

Nous continuerons quoi qu’il en soit nos actions d’information du public et de soutien aux personnes touchées, avec tous les partenaires et les professionnels qui ont à cœur de faire de la psychiatrie une discipline de progrès et de redonner aux personnes qui souffrent de troubles psychiques sévères une chance de retrouver la place qu’elles méritent au sein de la société.
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