« Dans la communauté, l’obstacle le plus important est la stigmatisation des personnes souffrant de troubles mentaux et du comportement, ainsi que la discrimination qui lui est associée. » - OMS, Rapport sur la Santé mentale dans le monde, 2001.
Le discours médiatique cristallise la stigmatisation des troubles schizophréniques
De nombreuses recherches internationales ont montré que l’image de la schizophrénie forgée par le discours médiatique cristallise une forme de stigmatisation sociale de la maladie. La connotation des articles de presse évoquant la schizophrénie est plutôt négative et ce dans l’ensemble des pays dans lesquels les études ont été conduites.
Les termes <schizophrénie> ou <schizophrène> sont utilisés souvent voire majoritairement dans un sens métaphorique, c’est-à-dire pour désigner par analogie un comportement contradictoire et lorsque le terme est bien utilisé pour désigner des personnes souffrant de schizophrénie, c’est le plus souvent pour souligner leur caractère dangereux relatif à des faits de violence.
Une étude, comparative , menée en Belgique montre aussi que les différentes pathologies mentales ne sont pas toutes logées à la même enseigne et que la schizophrénie est traitée de façon plus défavorable. De même, au Royaume-Uni, alors que certains chercheurs dénotent une amélioration de la façon dont on parle des troubles mentaux dans l’espace public, notamment pour la dépression, la schizophrénie fait étonnamment exception.
En France, une sur-stigmatisation...
L'étude menée par l'Obsoco à l'initiative de l'association Promesses a appliqué les outils de la linguistique (grâce notamment au logiciel de statistique textuelle Alceste©), ainsi que de la sociologie, à un corpus de 1,3 million d’articles issus d’un échantillon représentatif de la presse écrite de 2011 à 2015 afin d’analyser l’emploi en France du terme de schizophrénie et les mots apparentés.
Elle a vérifié à quel point la stigmatisation de la schizophrénie dans les médias en France confirmait les conclusions d’analyses conduites dans d’autres pays : méconnaissance de la pathologie et couverture du sujet très inférieure à ce que justifierait l’importance de sa prévalence ; association abusive de la schizophrénie à la dangerosité et la violence ; hétérogénéité des usages et détournement fréquent du terme vers des stéréotypes négatifs et erronés ; carence de l’information efficace pour les personnes concernées (patients et proches).
Cette étude constitue une démarche pionnière, y compris sur le plan international, par sa densité et son caractère complet. Elle a été présentée au 14ème Congrès de l’Encéphale le 20 janvier 2016 à Paris par le psychiatre Yann Hodé, de l’hôpital de Rouffac (Haut Rhin), et a obtenu le prix de la communication scientifique.
Trois conclusions majeures, fondées sur les résultats de l’analyse lexicographique
• La pathologie est un sujet ignoré et particulièrement mal traité (angles, flou général) dans la presse ; l’information médicale est quasi inexistante : le terme n’est présent que dans 2038 articles, dont 1% seulement d’articles vraiment dédiés, alors que cette maladie touche 600 000 personnes en France et constitue un enjeu majeur de santé publique. La référence à la maladie se trouve bien davantage dans des articles culturels (56%) que dans des articles scientifiques (13% ) et sur un mode caricatural.
• La presse française relaie globalement le cliché selon lequel le malade atteint de schizophrénie serait intrinsèquement dangereux, et la corrélation est constante avec des idées fausses : violence, dédoublement (alors que la schizophrénie n’a rien à voir avec le dédoublement de personnalité, qui est une pathologie distincte), absence d’espoir, etc. A ce titre, l’analyse du contenu des articles judiciaires montre la construction assez systématique d’une « image du monstre », et l’usage abusif d’une réduction de la pathologie à une seule de ses caractéristiques, la phase délirante. Alors que la véritable violence criminelle est en réalité rarissime, et les études menées sur ce sujet ne concluent pas que les personnes atteintes sont plus sujettes aux violences que le reste de la population. L'association abusive de la maladie à la violence est particulièrement prégnante dans la presse régionale française.
• L’usage détourné du terme vers des métaphores stéréotypées, largement dépréciatif, amplifie la tonalité négative du discours sur la schizophrénie. Une forte dérive de cet usage métaphorique est constatée, en particulier dans la sphère politique, vers un sens diamétralement opposé à la réalité médicale : celui de la manipulation, de la tactique et de la tromperie, autant d’images qui interdisent toute empathie ou compréhension à l’égard des malades. Alors que la maladie est avant tout subie, très invalidante, et l’une des premières causes de suicide chez les jeunes.
Des hypothèses d’interprétation des résultats, grâce à des outils d’analyse sémiotique et sociologique :
• Les auteurs de l’étude avancent l’hypothèse que l’archétype derrière l’hétérogénéité des usages du terme « schizophrénie » est l’image du manipulateur, et que cette représentation sociale sous-jacente est un facteur puissant de diabolisation des malades.
Deux hypothèses secondaires viennent à l’appui de cette hypothèse principale :
- Si cette représentation négative l’emporte aujourd’hui, c’est qu’elle est le produit d’une société effrayée par la complexité du monde et de la maladie.
- Cette représentation s’appuie sur des notions anciennes issues de la psychanalyse et intégrées de manière inadéquate dans le discours ambiant. On trouve ainsi des explications caricaturales des troubles schizophréniques par un environnement éducatif et familial, désormais infirmées par la science, et qui sont un héritage de conceptions « psychanalysantes » archaïques et erronées.
Des pistes pour mettre en place de nouvelles pratiques
L'étude a le mérite d'ouvrir des pistes de progrès à destination des médias, afin de leur éviter de stigmatiser les personnes touchées. Notamment :
• Abandonner l’usage métaphorique du terme, pour éliminer la diffusion des idées de double jeu et de perversité dans la représentation de la maladie.
• Faire la chasse aux idées reçues objectivement erronées et questionner systématiquement le lien schizophrénie-violence.
• Adopter un ton et un contenu plus sereins, moins effrayants et plus authentiques
A cette fin, l'AJIR-PSY (Association de Journalistes pour une Information Responsable en Psychiatrie) est née en juin 2017.
Créée par des journalistes conscients de l’effort à consentir pour améliorer le statut des personnes souffrant de troubles mentaux, l'AJIR-PSY s’engage à donner au public une information objective et respectueuse, à la hauteur du problème de santé publique que représente la santé mentale.
>> voir le site https://ajirpsy.org/
L'AJIR-PSY vient d'éditer
Médias et psychiatrie – Mémo à l’usage des journalistes
Dans de nombreux pays, des chartes de comportement et recommandations existent.
Voir par exemple :
A l’occasion des Journées de la Schizophrénie 2018, de nombreux médias ont consacré des articles à cette maladie.
Pour rappeler que les personnes atteintes de schizophrénie n’ont qu’une seule personnalité, qu’elles peuvent se rétablir et qu’elles ont pour cela besoin de soutien.
Nous les en remercions vivement, mais …
Pourquoi faut-il qu’une fois sur deux les images viennent immédiatement renforcer les stéréotypes que les mots cherchent à déconstruire ? Images sinistres, inquiétantes et effrayantes, déclinaisons hors sujet de la personnalité multiple, non seulement dans des titres grand public, mais aussi dans des revues destinées aux professionnels de santé...
Petit florilège, issu d'articles de presse de mars 2018 :
Alors là aussi, aidez-nous, combattez les clichés avec nous et cessez de stigmatiser par les images !
Vous ne savez pas comment illustrer un article sur la schizophrénie ? Contactez-nous
Florent Babillote et Stéphane Cognon, auteurs, sur le stand Collectif Schizophrénies-PromesseS au Salon du Livre de Paris 2018