L’anniversaire de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé est l’occasion pour les institutions et les partenaires associatifs de tirer un bilan des 20 années de la Démocratie en santé.
Le Conseil National de Santé, organisme consultatif placé auprès du ministre des Solidarités et de la Santé, a consulté les associations agrées sur l’effectivité de la démocratie sanitaire depuis ces 20 dernières années. Il remettra un rapport au ministre de la Santé.
Le Collectif Schizophrénies a participé à cette audition. C’est l’occasion de partager notre expérience du terrain.
La démocratie en santé, De quoi s’agit-il ?
Tout d’abord une définition, celle de Christian Saout, engagé de longue date dans le champ de la démocratie en santé, et auteur de « Santé, citoyens ! ». Rappelons qu’il est président du Conseil pour l’engagement des usagers en santé au sein de la HAS (Haute Autorité de Santé).La «démocratie sanitaire», c’est :
- la reconnaissance de droits individuels pour les citoyens quand ils ont recours au système de santé, ce que recouvre donc la formule «droits des patients» ou celle de «droits des malades» mais qui vaut pour tout citoyen-usager du système de santé,
- la reconnaissance de droits collectifs pour les associations d’usagers du système de santé, soit au fond le principe de représentation des usagers dans les instances de santé,
- la reconnaissance de la nécessité de renforcer les compétences individuelles et collectives des patients pour affronter la maladie, dans les directions maintenant bien connues de l’empowerment et du care, notamment par des programmes d’accompagnement dédiés,
- l’existence d’un certain nombre de procédures contradictoires et/ou participatives pour la décision collective en santé pour toutes les parties prenantes, et pas seulement pour les représentants des usagers.
A l’origine, la loi du 4 mars 2002
La notion de "démocratie sanitaire" a été inscrite pour la première fois dans une loi, la loi du 4 mars 2002 (loi Kouchner), relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Celle-ci énonce les droits individuels et collectifs des personnes malades et des usagers du système de santé.
Au titre des droits individuels, elle pose comme principe le droit fondamental à la protection de la santé, le droit à l’information sur son état de santé et sur les traitements et actions proposés, au respect du secret médical, à l’accès au dossier médical, au respect de la dignité, le droit à désigner une personne de confiance lors de toute hospitalisation, le droit à la décision partagée, c’est à dire à ce que aucun acte médical ni aucun traitement ne puisse être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne, ou lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, sans consultation de la personne de confiance désignée par l’usager ou de la famille ou à défaut un de ses proches.
Au titre des droits collectifs, elle prévoit la création dans chaque établissement de santé d’une commission des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge (CRUQPC), qui deviendra plus tard la Commission des Usagers, et qui a initialement pour mission de veiller au respect des droits des usagers et de contribuer à l’amélioration de l’accueil des personnes malades, de leurs proches et de la prise en charge.
Ses missions évolueront par la suite. Elle prévoit également que les représentants des usagers (RU) dans les instances hospitalières ou de santé publique sont désignés parmi les membres d’associations agrées. La loi modifie la composition de la Conférence nationale de santé en incluant des représentants des usagers. Elle crée à la place de la Conférence régionale de santé, un Conseil régional de santé, qui comporte également des représentants d’usagers.
Des lois ultérieures comprennent de nouvelles dispositions sur les droits des usagers ainsi que sur leur place au sein des établissements de santé, tandis que la présence des représentants des usagers s’inscrit progressivement dans les instances nationales, régionales et locales et que leurs missions évoluent. C’est le cas par exemple au sein des établissements de santé : la CRUQPC, était consultée, alors que la Commission des Usagers qui l’a remplacée participe à l’élaboration de la politique de l’établissement et est associée à la politique de parcours de soin.
La démocratie en santé en psychiatrie ? - Nos retours d’expérience
> Tout d’abord sous l’angle du «droits des patients» et pour tout citoyen-usager du système de santé »En psychiatrie, les droits des patients sont peu respectés, les exemples sont nombreux.
Droit à la santé
La désinstitutionnalisation - La suppression des lits d’hôpitaux - n’a pas été compensée par des des ressources en ambulatoires, par des équipes mobiles, par des soins dans la communauté au plus près du lieu de vie, par un accompagnement non seulement médical mais social. La stigmatisation des schizophrénies, la mauvaise image de la psychiatrie, conduisent à retarder l’accès aux soins qui s’effectuent dans l’urgence, sans anticipation.
- La qualité de la prise en charge est très inégale sur le territoire,
- L’accès aux soins somatiques n’est pas garanti systématiquement,
- Les dispositifs d’accompagnement ne sont pas toujours évalués,
- La désignation d’une personne de confiance inscrite dans la loi, et qui doit être proposée à l’usager, l’est rarement,
- Du fait de la pathologie psychiatrique, la parole des usagers n’est pas entendue comme légitime,
- Le port du pyjama est trop souvent imposé aux usagers.
Droits fondamentaux
L’isolement et la contention, pratiques dites de dernier recours, sont en forte hausse depuis plusieurs années, (et notamment depuis le début de la pandémie).
Mme Adeline Hazan CGLPL (Contrôleur Général des Lieux de Privatisation des Libertés) a largement fait le constat à de multiples reprises dans ses rapports de ces atteintes au droit des patients et proposé des recommandations dans son rapport final de juillet 2020).
Mme Simonot, actuel CGLPL, tire à son tour la sonnette d’alarme, et alerte sur la situation des personnes enfermées, dans le contexte du COVID 19.
Sa recommandation en urgence publiée en date du 1er mars 2022 au Journal Officiel en témoigne de l’existence d’hôpitaux qui sont des lieux de non-droits : «… Patients, y compris en soins libres, cloîtrés, qui souffrent de conditions d’hospitalisation médiocres, de placements à l’isolement indignes… Les intervenants reconnaissent leur désorganisation, les privations de liberté irrégulières, les mesures d’isolement et de contention sans décision médicale, notamment pour des patients en soins libres, et d’une façon plus générale, un insuffisant respect du droit »
Droit à l’information
L’information du diagnostic n’est pas toujours donnée parfois avec des années de retard.
L’information sur les traitements et leurs effets secondaires est rarement délivrée. C’est finalement à l’usager ou à ses proches de rechercher d’autres pistes thérapeutiques.
Pour les proches, l’accueil n’est pas optimal. Les droits des familles est peu appliqué et l’information manque dans les lieux de soins. Les familles ne sont pas considérées comme partenaires des soins :
- absence d’information/orientation sur les parcours possibles après hospitalisation, et modalités d’accompagnement existantes,
- ignorance des proches dans certains cas jusqu’au refus de les informer de la fin d’une hospitalisation, ou de la cessation de toute prise en charge dans d’autres étapes du circuit,
La psycho-éducation des familles, qui fait l’objet de recommandations internationales parce qu’elle bénéfice aussi bien à l’usager patient qu’à sa famille, n’est accessible qu’à 3 à 5 % des familles. Rares sont les professionnels de santé qui la proposent aux proches.
> La démocratie en santé sous l’angle de la « Reconnaissance de droits collectifs »
Les représentants des usagers (RU) siègent désormais au niveau national, régional ou local.
Dans les établissements de santé publics ou privés, leur présence est mal indiquée ; France Assos Santé relève dans le point 7 de son enquête flash sur la mission du représentant des usagers (https://www.france-assos-sante.org/2021/05/28/enquete-flash-7-la-mission-du-representant-des-usagers/ que 70 % des personnes interrogées ne connaissent pas les RU et leur mission.
La démocratie ne s’étend pas sur le terrain. Il y a une dichotomie entre le « discours officiel », et la réalité pour les usagers. D’ailleurs, lors d’une hospitalisation par exemple, comment connaît-on l’existence dans l’établissement de représentants des usagers ? Au moyen d’une affiche A4 dans les couloirs qui détaille une liste de noms sans information sur leurs missions.
Pour être informé de l’existence de représentant des usagers il faut déjà avoir un peu de « pratique de la psychiatrie » ; être une personne engagée dans une association, avoir connaissance de l’existence de réseaux d’entraide qu’ils soient ou non sur internet, connaître aussi les lieux ressource comme le Psycom. Où est l’information pour tous ?
> La démocratie en santé sous l’angle de « La reconnaissance de la nécessité de renforcer les compétences individuelles et collectives des patients pour affronter la maladie, dans les directions maintenant bien connues de l’empowerment et du care »
- Les Pairs aidants usagers sont encore trop peu nombreux, quant aux proches partenaires, ils sont encore plus rares. Les savoirs expérientiels des usagers et des proches peinent à être reconnus si ce n’est par des équipes de pointe,
- Le diagnostic, tel qu’il est formulé dans la plupart des cas, ferme les perspectives d’avenir, les possibilités de vivre une vie satisfaisante, en dépit de la maladie,
- Les informations sur les effets secondaires des traitements sont rarement communiquées ; pourtant, elles pourraient conduire la personne à adapter son comportement (surveiller son alimentation, réduire sa consommation de tabac, pratiquer une activité physique …),
- L’accès aux techniques de remédiation cognitive est encore trop rare et, lorsqu’il est proposé, injustement réservé à une catégorie d’usagers déjà engagés dans un « projet »,
- La consommation de tabac, qui nuit à l’efficacité des médicaments et conduit les médecins à augmenter les doses de traitements, est rarement un sujet abordé avec les usagers,
- En cas d’hospitalisation, il est fréquent que la sortie ne soit ni anticipée, ni préparée avec l’usager et le proche,
- S’orienter dans l’organisation des soins de santé et des services sociaux pourrait aussi contribuer à l’empowerment des personnes, cette information n’est pas disponible,
- Rares sont les équipes qui proposent aux usagers de remplir leurs « Directives Anticipées ». Orientées rétablissement, elles valorisent l’auto-détermination mais sont loin d’être généralisées.
-La reconnaissance de la nécessité de renforcer les droits individuels et collectifs des patients pour affronter la maladie découle de loi de 2002 ; celle de juillet 2009 apporte une reconnaissance et un encadrement de l’éducation thérapeutique du patient (ETP). Nous constatons que l’offre de l’éducation thérapeutique est loin d’être systématique. Pourtant connaitre ses troubles, acquérir des compétences pour les gérer, prévenir des situations de stress, les dominer pour améliorer sa qualité de vie, naviguer dans le système de santé … en font un véritable outil d’empowerment, surtout s’ils ont été co-construits avec des usagers patients, (ce qui est encore rarement le cas aujourd’hui).
Une démocratie en santé trop inégalement appliquée
On ne peut pas nier que les avancées de la démocratie en santé sont réelles, mais elles sont encore trop inégales. Les raisons de ces inégalités sont nombreuses :- La stigmatisation des troubles psychiques constitue le plus grand frein. La société tout entière est discriminante envers les personnes avec un trouble psychique. C'est la conséquence d’un manque d’information et de promotion sur la santé mentale sur tout le territoire, d’ou des médias, notamment audiovisuels, qui comptent parmi les vecteurs les plus stigmatisants,
- La psychiatrie est considérée comme une pratique de régulation sociale, et non comme un soin,
- Par ailleurs, les services de soins sont contraints de s’accommoder d’une gouvernance gestionnaire et bureaucratique, et les divergences d’intérêts idéologiques des professionnels de santé fragilisent la dynamique du changement. A ceci s’ajoute une forme d’indifférence, une rotation des personnels.