
Sophie* est une mère en colère. Son fils Malo* a connu durant plusieurs années un suivi en psychiatrie douloureux et inefficace pour une schizophrénie inexistante alors que son autisme Asperger a été ignoré et non diagnostiqué. Elle raconte leur parcours.
(* Les prénoms ont été modifiés)
Quand et pourquoi avez-vous amené votre fils à consulter en psychiatrie ?
Malo s’était scarifié au collège. Le psychiatre du CMP de secteur avait alors indiqué une « angoisse de performance », sans préconiser de suivi.Puis au lycée, il avait beaucoup d’eczéma et n’arrivait plus à s’adapter à des situations imprévues ou même réaliser des actions de la vie de tous les jours, par exemple, demander un billet de train au guichet. Il s’isolait de plus en plus. En novembre 2015, en 1ère, il a déclaré qu’il ne retournerait pas au lycée, deviendrait SDF et ferait des petits boulots.
Nous avons pu voir un psychiatre qui a jugé son état suffisamment inquiétant pour justifier d’aller aux urgences psychiatriques, à Ste Anne à Paris. Faute de place en unité adolescents, il a été admis en unité adultes au service addictologie suicidants-suicidaires du CMME. Il avait tout juste 16 ans.
Quel ont été le diagnostic et le traitement ?
L’anamnèse réalisée dès le 1er jour par un interne avait essentiellement porté sur la famille : mon cousin, diagnostiqué schizophrène s’était suicidé à 23 ans, en 1990. Au bout d’une semaine, une psychiatre nous a annoncé qu’il avait des « troubles psychotiques chroniques » et proposé un traitement antipsychotique, l’Aripiprazole.L’annonce du diagnostic a été d’une grande violence, ne laissant aucun espoir. Malo n’avait pourtant aucun délire ni hallucination, seulement des symptômes « négatifs » et bon nombre des particularités relevées étaient pour moi observées depuis la petite enfance ou pouvaient être expliquées, mais je ne savais pas alors ce qui était normal ou non. Et aucun dialogue n’a été possible.
J’ai bien essayé de poser des questions précises sur le traitement et le diagnostic, sans succès. La responsable médicale a même téléphoné à mon mari pour se plaindre de mon comportement, ce qui a en outre créé une forte tension dans notre couple.
L’état de Malo s’est-il amélioré suite à cette prise en charge ?
Non. Le traitement a été installé et très vite, Malo a eu de nombreux effets secondaires, dont une « akathisie majeure ». Il est resté 52 jours dans cette unité, son état se dégradant progressivement, malgré le fait qu’il observait à la lettre toutes les consignes. Il a finalement été transféré à Bordeaux, dans une unité pour adolescents.Le suivi a-t-il été alors différent ?
A Bordeaux, ils ont rapidement divisé par 3 la posologie. Malo a pu reprendre des forces. Il souhaitait retourner dans son lycée, mais la psychiatre l’a orienté vers un hôpital de jour « soins études ». Deux semaines d’essai ont suffi à comprendre que tant les « études » que les « soins » étaient totalement inadaptés : au mieux une garderie avec une « prise en charge » psychodynamique. J’ai été révoltée par le manque de bienveillance, le manque d’individualisation de la prise en charge, l’absence de considération envers les parents (je me suis sentie humiliée à plusieurs reprises), mais le plus grave, envers les jeunes. Nous nous sommes donc orientés vers une scolarisation au lycée de secteur l’année suivante, avec un suivi en CMP.Entre temps, le diagnostic a été précisé en « schizophrénie hébéphrénique », diagnostic annoncé par courrier, plus de deux mois après la sortie de l’hôpital. Un véritable choc ! Puis il a été modifié en « 1er épisode de décompensation avec risque évolutif vers une schizophrénie ». Le psychiatre du CMP a alors arrêté trop brutalement le traitement.
Comment s’est passé ce sevrage ?
Il a fallu réhospitaliser Malo, sous contrainte cette fois, suite à des idées suicidaires scénarisées.Il a connu la chambre d’isolement, les contentions et les injections. Il en reste profondément traumatisé. Un anti-dépresseur et un nouvel antipsychotique, la Rispéridone, ont été prescrits, «afin d’éviter l’auto ou l’hétéro-agressivité ». Plusieurs mois après, nous avons été informés par courrier du nouveau diagnostic posé lors de cette hospitalisation : « épisode dépressif sévère avec symptômes psychotiques », alors qu’il n’avait toujours ni délires, ni hallucinations.
Quels résultats avec ce nouveau traitement ?
Si au début le traitement a semblé fonctionner, il s’est révélé néfaste au bout de plusieurs semaines : non seulement mon fils n’arrivait pas à avoir une pensée cohérente, prenait du poids, mais surtout il est devenu de plus en plus agressif. Jusqu’à ce qu’un incident survienne lors d’un voyage scolaire, conduisant à un traumatisme tel qu’il n’a plus été capable de sortir de la maison pendant des mois. Je l’ai gardé avec moi, ayant arrêté de travailler pour m’occuper de lui. Je ne recevais nulle aide ou conseil de la part de l’unité ambulatoire qui assurait alors son suivi, si ce n’est de lui donner du Valium en cas de crise.Qu’avez-vous décidé alors ?
Je m’étais déjà beaucoup renseignée sur la schizophrénie, ne retrouvant que très partiellement les symptômes que j’observais chez mon fils. Après la lecture du livre « Je suis un zèbre », qui décrivait l’histoire d’une adolescente diagnostiquée à tort schizophrène, je me suis tournée vers une association de familles, l’ANPEIP Aquitaine. Les similitudes étaient frappantes entre mon fils et la jeune fille du livre.L’association m’a conseillé une psychologue qui a réalisé un nouveau bilan psychologique. Un 1er bilan avait été réalisé lors de l’hospitalisation, incluant un test de Rorschach, et concluant qu’il fallait un « milieu contenant »… Ce 2nd bilan a mis en évidence un très bon fonctionnement cognitif, des troubles neuro-visuels et … un probable syndrome d’Asperger. La rencontre avec cette psychologue a marqué un tournant décisif.
Comment cela ?
Mon fils était encore sous Rispéridone : nous avons décidé de le sevrer, à domicile, très progressivement, en suivant les indications du psychiatre. Je ne cache pas que cela a été terriblement difficile. Le seul soutien efficace pendant cette période a été celui d’une mère ayant un enfant du même âge diagnostiqué Asperger et qui avait également connu la psychiatrisation.Après le sevrage, l’agressivité a disparu et Malo s’est progressivement apaisé, sans cependant sortir de la maison, sans projet.
Le diagnostic d’Asperger a-t-il été confirmé ?
Oui. Non sans mal et après une longue attente. Nous nous sommes tournés vers le centre ressources autisme (CRA) où un professeur nous a annoncé «qu’il y avait hésitation entre des troubles du spectre de l’autisme et des troubles associés à son haut potentiel ». Un diagnostic d’« autisme atypique » a finalement été posé, ainsi qu’un « syndrome dépressif et une symptomatologie anxieuse envahissante ». Adieu schizophrénie et autres troubles psychotiques ! Il était recommandé un traitement antidépresseur, associé à une thérapie cognitive et comportementale (TCC), ainsi qu’une « prise en charge de type réhabilitation psychosociale afin de favoriser l’insertion sociale et professionnelle ». Mais sans aucune proposition concrète.Qu’avez-vous mis en place alors ?
La bénévole qui m’avait aidée précédemment m’a indiqué une psychologue spécialisée dans l’autisme sans déficience intellectuelle. Un complément d’évaluation a conduit à un diagnostic de syndrome d’Asperger posé par la nouvelle psychiatre référente. Mais surtout, la psychologue a pris en charge Malo, ce qui a grandement contribué à l’aider. Ce qui a été très bénéfique également, c’est l’intervention à domicile d’une éducatrice en sport adapté qui connaît bien l’autisme. En parallèle, il a été inscrit en terminale au CNED réglementé et a été aidé au niveau scolaire par une association. Dans ces conditions, le rétablissement a été aussi spectaculaire que rapide.Et aujourd’hui comment va Malo ?
Malo est en école d’ingénieurs, dans le domaine qui le passionne depuis l’enfance. Il est épanoui et se projette dans l’avenir, complètement rétabli, sans aucun médicament et avec un suivi très limité. Certes il est atypique, mais il trouvera sa place dans la société. Nous restons vigilants et l’accompagnerons autant qu’il en aura besoin. L’essentiel est qu’il puisse être autonome et qu’il puisse faire ses choix de vie.Quel regard portez-vous aujourd’hui sur ce parcours ?
La psychiatrie française a des décennies de retard sur le diagnostic et la prise en charge de l’autisme. Mais ce type d’errance ne peut se justifier, avec autant de souffrances, un coût exorbitant pour la société, des prises en charge non seulement inutiles mais dangereuses, voire maltraitantes.Au-delà de l’erreur diagnostique, les prescriptions et le suivi ont été scandaleux : comment peut-on laisser l’état d’un patient se dégrader autant et pendant des mois sans réagir ?
De surcroît, les erreurs ont été niées et on m’a opposé le fait que « la prise en charge a été pratiquée dans les règles de l’art et la médication adaptée au risque évolutif ». J’ai compris qu’il ne s’agissait pas seulement d’une simple erreur. Non. Je suis persuadée qu’il s’agit surtout d’un problème de formation, où les théories du développement sont encore fortement inspirées de la psychanalyse. De fausses croyances sur le « haut potentiel intellectuel » nous ont également fait perdre beaucoup de temps.
Jamais personne ne nous a proposé de psychoéducation, de remédiation cognitive ou toute autre prise en charge non médicamenteuse à l’efficacité démontrée.
Mon fils a eu de la chance. Mais à quel prix ! Et combien d’autres personnes autistes ou avec d’autres troubles neuro développementaux sont encore mal diagnostiquées et mal prises en charge ?
Témoignage de Sophie
Sophie a 24 ans et elle est la fille de Corinne de Berny. Elle a eu un diagnostic de schizophrénie lorsqu’elle avait 18 ans. Après plusieurs séjours en hôpital de jour, elle se sent mieux depuis un an et demi et a repris un petit travail.
Comment votre entrée dans la maladie s’est-elle faite ?
Je m’isolais dans ma chambre, je pensais qu’il y avait des odeurs nocives pour la santé. J’ai descendu le matelas, je suis descendue à la cave. J’avais des pensées délirantes comme cela, en fait. Et après, quand j’étais dans ma cave, je pensais que des gens me voulaient du mal, c’est là que je me suis faite hospitalisée parce que ça n’allait pas bien.
En avez-vous parlé à vos parents ?
Ils savaient bien que j’étais en détresse, ils voulaient m’interner et moi, je leur en voulais à mort de m’interner, et du coup, ils étaient tristes de vouloir me forcer à aller à Villejuif.
Depuis quand êtes-vous diagnostiquée schizophrène ?
Depuis mes 18 ans. J’étais au lycée, au début, je n’avais pas trop de problèmes d’apprentissage, après, j’ai pris un médicament qui s’appelle le Risperdal. Je pensais que, comme je n’avais plus trop de pensées dans ma tête, je pensais que c’était à cause du Risperdal, mais on m’a dit que c’était un effet de la maladie que j’avais mon cerveau était vide de pensées. Ca s’est accompagné d’une sorte de paranoïa, je pensais qu’on me voulait du mal, les gens autour de moi, dans la vie de tous les jours.
Quelle a été votre réaction ?
Je suis parti habiter un peu toute seule dans une maison, mais là-bas je faisais n’importe quoi, je dormais à des heures improbables, et j’avais des idées folles comme quoi mes voisins m’épiaient, et c’est là que j’ai été hospitalisée à la demande de mes parents.
Depuis combien de temps vous sentez-vous mieux ?
Depuis un an, un an et demi, ça va mieux. C’est vrai que j’ai un peu vécu l’enfer.
Et avez-vous encore des troubles ?
Oui, je suis un peu paranoïaque avec mes amis, à penser qu’ils me veulent du mal. Mais pas avec mes parents, c’est fini, je ne pense plus ça.
Et vous sortez, vous avez une vie sociale ?
Le soir, je ne sors pas beaucoup mais le week-end, je prévois quelque chose, soit avec mes grands-parents, soit avec mes amis, on reçoit. Sinon, pendant des années, je ne pouvais plus regarder la télévision. Ma sœur m’a appris ce qu’est le streaming et tous les jours, je regarde un film en streaming.
Vos amis ont-ils compris votre maladie ?
Oui. Ils ne me forcent en rien, si j’ai envie de les voir, ils veulent bien.
Avez-vous encore des moments difficiles ?
Oui, quelques-uns. A peu près à mes 19 ans, je me suis mise dans des situations où je n’arrivais pas à me concentrer, où je me sens très mal. Maintenant je gère ce moment où je me sens très très mal, qui arrive surtout le soir en allant dans mon lit, en fermant les yeux et en me concentrant sur la vie normale.
C’était une forme d’angoisse que vous aviez ?
Oui, je n’arrivais plus à réfléchir et pour que ça aille mieux, j’étais obligée de dormir, jusqu’à ce que ça passe, des épisodes. Aujourd’hui, les épisodes comme cela sont moins fréquents et c’est pour cela que ma vie est beaucoup plus belle.
Pensez-vous que c’est grâce à ce médicament que vous allez mieux ?
Je ne pense pas. Je pense que c’est parce que je suis moins stressée que cela m’arrive moins souvent.
Au quotidien, comment cela se passe ?
J’ai un petit travail, je fais quatre heures par semaine dans la comptabilité bien que je ne l’ai pas vraiment étudiée. Je suis allée jusqu’au bac ES que j’ai eu. Je travaille deux heures le mercredi matin et deux heures le vendredi matin. Et quand je ne travaille pas, je suis à l’Elan retrouvé, à l’hôpital de jour, dans le 9ème arrondissement de Paris, avec d’autres patients.