Témoignage de Sophie
Sophie a 24 ans et elle est la fille de Corinne de Berny. Elle a eu un diagnostic de schizophrénie lorsqu’elle avait 18 ans. Après plusieurs séjours en hôpital de jour, elle se sent mieux depuis un an et demi et a repris un petit travail.
Comment votre entrée dans la maladie s’est-elle faite ?
Je m’isolais dans ma chambre, je pensais qu’il y avait des odeurs nocives pour la santé. J’ai descendu le matelas, je suis descendue à la cave. J’avais des pensées délirantes comme cela, en fait. Et après, quand j’étais dans ma cave, je pensais que des gens me voulaient du mal, c’est là que je me suis faite hospitalisée parce que ça n’allait pas bien.
En avez-vous parlé à vos parents ?
Ils savaient bien que j’étais en détresse, ils voulaient m’interner et moi, je leur en voulais à mort de m’interner, et du coup, ils étaient tristes de vouloir me forcer à aller à Villejuif.
Depuis quand êtes-vous diagnostiquée schizophrène ?
Depuis mes 18 ans. J’étais au lycée, au début, je n’avais pas trop de problèmes d’apprentissage, après, j’ai pris un médicament qui s’appelle le Risperdal. Je pensais que, comme je n’avais plus trop de pensées dans ma tête, je pensais que c’était à cause du Risperdal, mais on m’a dit que c’était un effet de la maladie que j’avais mon cerveau était vide de pensées. Ca s’est accompagné d’une sorte de paranoïa, je pensais qu’on me voulait du mal, les gens autour de moi, dans la vie de tous les jours.
Quelle a été votre réaction ?
Je suis parti habiter un peu toute seule dans une maison, mais là-bas je faisais n’importe quoi, je dormais à des heures improbables, et j’avais des idées folles comme quoi mes voisins m’épiaient, et c’est là que j’ai été hospitalisée à la demande de mes parents.
Depuis combien de temps vous sentez-vous mieux ?
Depuis un an, un an et demi, ça va mieux. C’est vrai que j’ai un peu vécu l’enfer.
Et avez-vous encore des troubles ?
Oui, je suis un peu paranoïaque avec mes amis, à penser qu’ils me veulent du mal. Mais pas avec mes parents, c’est fini, je ne pense plus ça.
Et vous sortez, vous avez une vie sociale ?
Le soir, je ne sors pas beaucoup mais le week-end, je prévois quelque chose, soit avec mes grands-parents, soit avec mes amis, on reçoit. Sinon, pendant des années, je ne pouvais plus regarder la télévision. Ma sœur m’a appris ce qu’est le streaming et tous les jours, je regarde un film en streaming.
Vos amis ont-ils compris votre maladie ?
Oui. Ils ne me forcent en rien, si j’ai envie de les voir, ils veulent bien.
Avez-vous encore des moments difficiles ?
Oui, quelques-uns. A peu près à mes 19 ans, je me suis mise dans des situations où je n’arrivais pas à me concentrer, où je me sens très mal. Maintenant je gère ce moment où je me sens très très mal, qui arrive surtout le soir en allant dans mon lit, en fermant les yeux et en me concentrant sur la vie normale.
C’était une forme d’angoisse que vous aviez ?
Oui, je n’arrivais plus à réfléchir et pour que ça aille mieux, j’étais obligée de dormir, jusqu’à ce que ça passe, des épisodes. Aujourd’hui, les épisodes comme cela sont moins fréquents et c’est pour cela que ma vie est beaucoup plus belle.
Pensez-vous que c’est grâce à ce médicament que vous allez mieux ?
Je ne pense pas. Je pense que c’est parce que je suis moins stressée que cela m’arrive moins souvent.
Au quotidien, comment cela se passe ?
J’ai un petit travail, je fais quatre heures par semaine dans la comptabilité bien que je ne l’ai pas vraiment étudiée. Je suis allée jusqu’au bac ES que j’ai eu. Je travaille deux heures le mercredi matin et deux heures le vendredi matin. Et quand je ne travaille pas, je suis à l’Elan retrouvé, à l’hôpital de jour, dans le 9ème arrondissement de Paris, avec d’autres patients.
Corinne est la mère de trois filles dont Sophie qui a 24 ans, une fille aînée de 25 ans et une plus jeune qui a 20 ans. Sophie est atteinte de schizophrénie depuis ses 18 ans.

Quels ont été les premiers signes de la maladie de votre fille ?
Le premier signe que j’ai trouvé inquiétant était le retrait social de Sophie. Du jour au lendemain, il y a eu une coupure, elle n’avait plus de camarades de classe, après ça a été ses sœurs puis ses parents, avec des comportements parfois violents. Un jour, elle est rentrée dans la chambre de sa sœur, elle a arraché les photos de famille qu’elle avait et les a toutes déchirées ; elle a déchiré ses vêtements. Il y avait des comportements incompréhensibles, parce qu’elle ne savait pas ce qu’elle sait aujourd’hui. Elle passait le plus clair de son temps dans sa chambre, les volets fermés et n’était plus présente du tout dans le cadre de la famille. On pensait que c’était une adolescence difficile. Les conflits sont devenus tellement forts qu’on a décidé de l’installer dans un studio un peu avant ses dix-huit ans. A partir de ce moment-là, elle n’est plus retournée en cours et a commencé à avoir une inversion totale du rythme de vie.
En dehors de ce retrait social, il y avait eu d’autres manifestations qu’elle nous a racontées. Elle était fan d’un groupe pop, elle avait quinze ans, elle séchait les cours pour aller voir ce groupe et racontait des choses un peu étranges. Elle était convaincue que le chanteur lui faisait des signes derrière elle, faisait des cœurs. J’essayais de relativiser les choses et cela partait en conflit parce que je ne rentrais pas son « jeu », entre guillemets, car ce n’est pas un jeu. C’était des motifs de dispute. Je pensais que c’était une adolescence très difficile.
Sophie est-elle allée voir un médecin ?
Le premier contact que Sophie a eu avec le monde de la psychologie, au sens général, s’est passé quand les relations avec ses grandes sœurs sont devenues compliquées. C’est Sophie elle-même qui m’a dit : « tu te rends compte, j’ai besoin d’aller voir un psychologue ».Du coup, j’ai demandé à son médecin traitant qui l’a orientée vers un CMPP (centre médico psycho-pédagogique) où elle a été reçue par un psychologue ou un psychanalyste. Cela a été une expérience nulle car l’homme en question refusait que je conduise Sophie là-bas sous prétexte que c’était une démarche de sa part. Du coup, ça lui prenait une heure en bus, en plus, c’était quelqu’un qui ne parlait pas. Sophie, à l’époque, était très introvertie, elle n’avait rien à dire et lui non plus. Elle y est allée trois fois et n’a plus voulu y retourner sans que la personne ne m’ait dit qu’il y avait le moindre problème.
Que s’est-il passé ensuite ?
J’ai pris un rendez-vous avec un psychiatre, au centre Claparède à Neuilly, soit-disant spécialisé dans les problèmes psychiques de jeunes alors que Sophie était dans un retrait social très marqué, dans des délires. Il a reçu Sophie pendant une heure puis nous a reçus et nous a laissé entendre que le problème, c’était nous, alors qu’elle était une adolescente parfaitement normale. Après Sophie n’a plus voulu voir personne parce que ça n’allait pas mieux pour elle.Puis, les choses se sont un peu aggravées et la personne à avoir prononcé le mot de « schizophrénie » a été le médecin traitant. Sophie est venue le voir souvent pour des petits maux qui la gênaient. Et comme il lui disait qu’elle n’avait rien, Sophie était en colère contre lui et elle est allée directement aux urgences. C’est comme cela qu’un jour, elle est allée aux urgences et ils l’ont gardée. Sophie avait 18 ans.
Comment se passent les relations avec ses deux sœurs ?
Le retentissement dans la famille a été très fort, très compliqué. Cela s’est arrangé avec le programme ProFamille (un programme de psycho-éducation pour les proches) car j’ai appris beaucoup de choses sur cette maladie dont je ne connaissais absolument rien du tout. Le programme m’a donné la possibilité de me mettre à la place de Sophie, de comprendre ce qu’elle pouvait ressentir quand on lui faisait des reproches, quand on lui demandait d’avoir des attitudes qu’elle ne pouvait pas avoir.Et puis, petit à petit, je pense que ça s’est diffusé dans la famille même si ses sœurs n’ont pas bénéficié d’un programme d’éducation thérapeutique comme celui-là. Disons que nos relations sont devenues tout à fait normales.
En quoi consiste ce programme ?
Il y a une première étape qui consiste à expliquer cette maladie, quels en sont les symptômes, ce qui permet aux participants de s’y reconnaître. Le programme nous parle des médicaments, de leurs effets bénéfiques et secondaires, plus ennuyeux, et permet de nous mettre en situation et à communiquer de manière plus efficace avec notre fille…A avoir les bons mots…
Oui et à lui faire comprendre qu’on ne lui veut pas de mal et qu’on est fier d’elle, qu’il n’y a pas de problème, au fond. Il faut juste qu’on arrive à trouver un dialogue, le programme nous fait travailler sur nous-même, sur la culpabilité, quelque chose qui est compliqué pour les parents.Après coup, quels ont été les signes avant-coureurs de la schizophrénie ?
Je pense que le trouble de Sophie a dû commencer vers quinze ans. Le médecin généraliste a dû prononcer le mot de schizophrénie à dix-sept ans, c’était un mot que je ne connaissais même pas. Pour vous dire la vérité, je ne suis même pas allée sur Internet pour chercher. J’étais dans la gestion des difficultés du présent.Je serai toujours reconnaissante à mon médecin généraliste et j’en voudrais toujours à ce psychologue du CMPP qui l’a laissée partir dans la nature, sans nous rappeler, sans nous dire, « attendez, il y a quelque chose d’un peu inquiétant », et à ce psychiatre qui nous dit quand Sophie a dix-sept ans, « votre fille va très bien ». Et un an plus tard, elle était hospitalisée, quand même. Ca, c’est scandaleux, c’est deux ans de perdus.
Après, nous avons eu la chance d’entrer dans un parcours de soin, qui est un moment extrêmement violent, et pour les jeunes qui se retrouvent dans des milieux… Sophie avait dix-huit ans, elle était donc en psychiatrie normale avec des adultes, des gens âgés, chronicisés, c’est effrayant…
La première fois que Sophie a été hospitalisée sous contrainte à Villejuif, nous avons demandé à la faire sortir au bout d’une semaine tellement nous étions traumatisés, malheureux par ce lieu, d’une violence énorme… A l’époque, on pouvait le faire, mais maintenant ce n’est plus possible car il y a un juge qui intervient.