Nous avons lu le rapport de la Cour des Comptes consacré à l'AAH
L'AAH : ce qui ne va pas selon la Cour des Comptes
• L’AAH a un poids colossal en termes de dépenses publiques : 9,7 Md€ en 2018 (pour un million d’allocataires) soit 35% des dépenses de l’Etat en minima sociaux.
• Mais surtout elle croît de 400 M€ par an, croissance liée à la seule « AAH-2 » perçue par les personnes dont l’incapacité est évaluée entre 50 % et 80 % (plus de 500 000) dont le nombre augmente de près de 7 % par an ces dernières années.
• Ces dépenses ne sont ni pilotées ni anticipées. L’AAH est payée par l’Etat qui n’a aucun pouvoir de décision ni de contrôle. Son attribution ou renouvellement relève d’un « traitement de masse » et « automatique » des dossiers, « sur la base quasi-exclusive de documents déclaratifs » Le niveau de connaissance des bénéficiaires de l’allocation et de leurs handicaps est particulièrement faible.
• Enfin, le traitement des dossiers est inéquitable : pour l’année 2017, par exemple, la moyenne nationale était de 2,3 allocataires pour 100 habitants âgés de 20 ans ou plus, mais allant de 1,2% dans les Yvelines à 4,6 % en Lozère.
De ces éléments, elle tire l’analyse suivante :
La loi d’orientation sur le handicap du 11 février 2005 a consacré un « élargissement conceptuel » de la notion de handicap, sans l’assortir de « critères d’attribution objectifs ». Dans la mesure où l’AAH est « un revenu minimum garanti d’un montant deux fois plus élevé que le RSA », cela est susceptible d’avoir « incité des personnes en situation de précarité à reconsidérer leur situation sous l’angle du handicap ». D’autant qu’il n’y a pas de « mécanismes de détection des demandes frauduleuses ».
Comme simultanément, la loi de 2005 a donné aux associations représentant des personnes handicapées un rôle central dans les décisions d’attribuer l’AAH, cela rend « très difficile d’entreprendre toute réforme ». (NB : le collectif schizophrénies ne participe pas à cette co-gestion).
Or tout cela n’est pas tenable : « L’AAH-2, dans sa configuration actuelle, est une source d’incertitude voire de risque budgétaire ».
D’où des recommandations :
Elles consistent pour l’essentiel à instruire plus sérieusement les demandes et conditionner davantage l’attribution de l’AAH.
Notamment : repréciser que le seuil de 50 % d’incapacité n’est atteint qu’en cas de gêne notable dans les trois domaines de la vie quotidienne, sociale et professionnelle, Instituer a minima une contre-visite médicale obligatoire avant toute première attribution, instaurer un entretien d’évaluation de l’employabilité préalablement à l’attribution de l’AAH-2, Conditionner l’attribution de l’AAH-2 à une prise en charge médico-sociale adaptée, quand celle-ci est possible), mettre en place des mécanismes de contrôle de l’attribution à bon droit et un suivi statistique, et enfin, donner la majorité des voix à l’État, en tant que financeur, pour les décisions relatives à l’AAH).
Le rapport de la Cour des Comptes : ce qui ne va pas selon nous
Il y a cependant dans ce rapport une tonalité générale qui nous laisse penser que la Cour des comptes, quelle que soit son ambition d’objectivité n’a peut-être pas réussi à se hisser au-dessus d’un certain nombre de préjugés courants sur les maladies mentales.
Une grande partie de son argumentation repose sur l'assimilation de la loi de 2005 reconnaissant le handicap psychique à des conceptions très extensives, floues, voire fumeuses du handicap, qui seraient non médicales et non objectivables. Elle considère ainsi comme étant un fait acquis que le handicap psychique relève de la « démédicalisation et la socialisation de la notion de handicap » (p54).
Assurément, la reconnaissance du handicap psychique par la loi de 2005, en élargissant la population susceptible de bénéficier de l’AAH a fatalement entrainé une augmentation des dépenses d’AHH.
La Cour en déduit qu’il y a trop d’allocataires en situation de handicap psychique et qu’ils augmentent trop vite. Mais elle ne prend jamais la peine de de confronter ces chiffres avec les données épidémiologiques relatives aux troubles psychiques graves dans notre pays.
Faut-il encore rappeler que rien que les troubles schizophréniques touchent plus de 600 000 personnes ? Pour l’essentiel âgées de 20 à 60 ans compte tenu de l’apparition des troubles au début de l’âge adulte et de la surmortalité liée à la maladie ? Que 80 % d’entre elles, soit 480 000 personnes ne peuvent travailler du fait de leur handicap ?
Et qu’à la lumière de ces chiffres - la schizophrénie n’étant qu’un des troubles graves engendrant un handicap psychique – le chiffre d’un 1 161 400 personnes titulaires de l’AAH tous handicaps confondus reflète probablement qu’une partie importante des personnes souffrant de handicap psychique en France n’ont pas accès à l’AAH, malgré la loi de 2005…
Comment comprendre d’ailleurs la persistance de la Cour des Comptes à écarter toutes les données qui ne soutiennent pas sa thèse de l’abus généralisé ?
- Les comparaisons internationales montrent que la France ne se place qu’à la 9e place des pays européens en matière de protection sociale spécifique au handicap et à l’invalidité ? Selon la Cour, cette information - pourtant bien objective - doit être minorée (page 44).
- La CNAF, après étude a estimé que « l’AAH ne représente pas une prestation à fort risque de fraude » ? Selon la Cour, si, car il y a un « angle mort en matière de lutte contre le recours frauduleux à l’AAH » (page 97)
- Le formulaire médical rempli par un médecin, impératif pour toute demande d’AAH, a été revu et est passé de 4 à 8 pages. Et la quasi-totalité des MDPH a recours aux compétences de médecins pour instruire les dossiers (p90) ? Mais la Cour estime qu’ une « zone d’incertitude » demeure puisque les MDPH n’enregistrent pas les noms des médecins et ne vérifient donc pas s’ils sont complaisants. (p99).
- La DREES, après étude, a estimé que les disparités territoriales en matière d’AAH s’expliquaient très majoritairement par la situation sanitaire et sociale du département ? La Cour estime que la DREES n’a pas la bonne méthodologie (page 42)
- Les enquêtes menées par la CNSA montrent que les MDPH utilisent bien le guide-barème, mais aussi d’autres guides, normes et outils internes locaux existants (p92) ? Selon la Cour, elles ne font que traiter en masse automatiquement.
Au moins, au travers de la croissance des dépenses d’AAH liées au handicap psychique, la Cour des Comptes aura peut-être découvert l’ampleur croissante de ces maladies, les défaillances de prise en charge et d’accompagnement et les coûts que cela entraine pour toute la société, même si l’angle du coût de l’AHH est pour le coup bien réducteur.
La Cour l’a écrit : « Le rapport ne peut caractériser les difficultés vécues et ressenties par les personnes en situation de handicap bénéficiaires de l’AAH, ni de leurs familles.». En effet, et c’est peut-être par là qu’il faudrait commencer.
Certainement des fraudes existent-elles, comme partout ; sans doute les conditions d’instruction des demandes d’AAH sont-elles perfectibles, certains formulaires médicaux rédigés par des médecins, centrés sur les pathologies, ne permettant pas assez d’’évaluer précisément le degré d’incapacité ; probablement y aurait-il besoin de retravailler des critères autour du handicap psychique et assurément de développer les accompagnements vers la vie sociale et l’emploi.
Mais ce rapport recèle bon nombre de propos de défiance et dévalorisants sur le handicap psychique qui sont inacceptables.
Nous allons demander à rencontrer les auteurs du rapport afin de leur faire part de notre point de vue et leur apporter notre éclairage et quelques expériences vécues sur le handicap psychique et l’accès à l’AHH.